• Tambour

    La cérémonie de commémoration de la bataille de Verdun a laissé une impression étrange, mêlée d'incompréhension, de choc et d'embarras. Je suis pour ma part resté sans voix, concédant poliment de répondre par un large sourire à l'émerveillement habituel de celles et ceux qui approuveront toujours tout quoi qu'il arrive, à partir du moment où la réalisation artistique provient d'un nom connu et officiellement adoubé. Sorte de suivisme mondain, nécessité diplomatique de courtisan pour qui souhaite en être, se glisser dans la haute société.

    Laissons de côté les vives réactions de cour, les uns se forçant à une émotion admirative par solidarité envers la gauche présidentielle, les autres manifestant leur indignation d'usage par opposition au président, et quelques autres leurs plus vives félicitations du fait même qu'il se fût agi d'une manifestation culturelle — les mauvaises langues parleront, pour ces derniers, de l'effet Télérama. Et intéressons-nous à cet embarras qui aura semble-t-il saisi une large part du monde du quidam, dont je suis.

    Le spectacle de commémoration en effet aura été confié à Volker Schloendorff, réalisateur connu et reconnu pour son talent, à la fois par ses pairs et les amateurs du genre. Ce choix ne suscita aucun doute, l'homme étant une valeur sûre en matière de goût et de professionnalisme. Le créateur promettait une ambiance censée nous plonger dans le vécu de Verdun par nos oreilles et nos yeux,  craquement brutal et métallique du fracas des bombes et déferlement d'êtres au milieu des fantômes, ouverte sur une note d'espoir pour l'avenir de l'Humanité. Nous nous rendîmes donc tous au rendez-vous, confiants, impatients de découvrir une nouvelle performance du génie, à la hauteur du drame de Verdun ; l'affaire Black M déjà lointaine et oubliée.

    Suspens ! Percussions, battements, le cœur accélère, l'émotion hésite ; les Tambours du Bronx détonnent sur les centaines de croix blanches. Il pleut. Et soudain, une nuée de jeunes adolescents déferle sur le terrain entre les croix. On pense d'abord à une sorte de marathon associatif mal aiguillé, qui se sera trompé de parcours, débordant par mégarde en pleine cérémonie. Mais non, la course semble chorégraphiée, les jeunes galopent d'une foulée assuré, dépareillés, vers le même objectif. Puis les voici qui miment la chute, la mort, les conséquences de la guerre, puis annoncent que la jeunesse est là, survivante. Et voilà. Silence, la pluie tambourine à son tour, finement, et l'on s'interroge. Est-ce bien du Schloendorff que nous venons de voir ?

     

    Embarras

    Les tambours sont tout de suite acceptés, dans une suite attendue, et chacun aura peut-être pensé au film « Le Tambour » de Schloendorff, 1979, avec ce petit Oskar, comme adaptation du roman non moins admirable de Günter Grass. La guerre est son domaine. Les Tambours du Bronx avec leurs vieux métaux rouille collent à l'événement de Verdun. La bruine ajoutant à l'ambiance. Mais alors cette course, ces petites créatures multicolores élancées comme des lapins entre les croix blanches, par-dessus les tombes, fendant l'air et les fantômes, chacun dans une gestuelle singulière et parfois maladroite, mal adaptée à la course, on se demande. Quel rapport avec Verdun, avec les morts, l'atrocité d'une boucherie de guerre ? 

    Certes, la jeunesse a survécu, entremêlée, réconciliée entre Allemands et Français. Mais les morts étaient jeunes eux aussi, lancés sur ordre les uns contre les autres, avec les complications alsaciennes et les amitiés disloquées entre deux populations qui ne se détestaient finalement pas. Pourquoi étaient-ils dépareillés, pourquoi ont-ils mimé la mort, pourquoi ont-ils simplement couru sur le sol imbibé de cadavres, et pourquoi des enfants ?

    Le Tambour, à ne pas confondre avec Le Crabe-tambour (1977) de Pierre Schoendoerffer, l'Alsacien, le Tambour donc contenait-il aussi de mystérieux décalages à comprendre petit à petit ? Sans doute devrons-nous revoir et repasser la vidéo de cette cérémonie, pour comprendre si l'embarras tient du choc face à l'avant-garde d'une expression artistique trop décalée pour être immédiatement accessible, ou pour s'apercevoir qu'elle fut peut-être bien un peu ratée, ce qui peut arriver aux plus grands. 

     

    Embarras tout autre

    Aucun doute en revanche sur l'embarras devant l'allure empruntée de ce couple franco-allemand, Hollande et Merkel ensemble, isolés sous un parapluie, la démarche familière et le protocole hésitant. Pourquoi avait-il fallu n'installer qu'un seul pupitre ? Alors que le président français déclamait ses banalités au micro, la chancelière attendait les bras ballants, à côté, comme un porte-parapluie, un épouvantail, l'intrus du champ cinématographique. Ils tendirent à deux la grande allumette pour la flamme, lui le visage innocent du gaffeur, elle cherchant parfois des yeux une complicité trop furtive ou pleine de maladresse. Le couple Kohl-Mitterrand avait tout de même offert plus de prestance.

     

    Drôle d'époque…


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