• Voix - émotions primales

    Les oiseaux communiquent entre autres en chantant. Qu’en pensent les oiseaux ? L’être humain se montre tout aussi sensible aux mélodies, la musique est d’ailleurs considérée comme un langage que les compositeurs classiques avaient su magnifier, et dont on explore les limites dans l’électro-acoustique. Sans doute en a-t-il toujours été ainsi, les reproductions de mélodies de la Grèce antique, en dépit de leur nature hypothétique, transmettent à l’esprit qui les écoute une atmosphère troublante et hypnotique, trahissant le vertige éprouvé jadis face aux abîmes sombres et insondables des orifices de la Terre, des eaux profondes, des béances de l’esprit, du ciel nocturne ou des ombres forestières, d’où émanaient bruits, silhouettes fantômes, odeurs, sensations toutes plus étranges les unes que les autres. Les musiques méditatives de l’Inde ancienne s’accordent étonnamment bien aux enregistrements sonorisés de l’activité stellaire — soleils, pulsars et autres corps —, laissant imaginer une forme de cohérence globale  étendue à l’ensemble de l'univers dont nous faisons intégralement partie. Notre soleil émettrait en effet lui aussi des vibrations acoustiques, en sol dièse, comme nous l’apprend l’héliosismologie. La musique traditionnelle chinoise excite nos souvenirs d’un cosmos immédiat, le mouvement de ses vents, liquides, végétations et créatures. Le didgeridoo aux cinquante noms vibre comme une gorge profondément universelle, égarée dans des futaies humides ou des sillons alpins.

    Notre psychisme entre donc en résonance avec certaines sonorités, variations, compositions ou déclinaisons vibratoires, en fonction du vécu de chacun, d’une part, et peut-être aussi de celui, très ancien, pour ne pas dire archaïque, gravé par le temps et l’épi-génétique dans le schéma d’un arrangement neuronal au fil des générations. Ainsi serions-nous programmés pour, mentalement, sursauter au cri d’un nourrisson, nous serions tous sensibles au même tintement bien déterminé d’un réveil ou au timbre particulier d’une voix chantée. Et pour ne prendre ici en compte que les goûts archaïques considérés comme ataviques, sous une quasi universalité humaine, venons-en à la voix, féminine en particulier, disons plutôt aiguë, qui sait engendrer chez certains des sensations proches de l’orgasme, via la tempête chimique qu’elle produit. Clare Torry en est une illustration. Inégalée dans sa performance vocale, singulière et spontanée, au service des Pink Floyd, dans son interprétation du Great Gig in the Sky (Dark Side of the Moon), sa voix parvient à évincer sa personne pour n’être plus qu’un flux, traversant nos tympans, dévalant la cochlée, se déversant par les voies nerveuses jusqu’à nos entrailles et nous transportant loin dans les origines de l’humanité, peut-être jusqu’à un temps postérieur au langage, où nous interagissions sans mots ni représentations. La voix de Janis Joplin emporte certaines personnes dans les fonctions premières du cri, désinhibée par la drogue et l’accompagnement de guitares électriques, extensions instrumentales de la voix. On éprouve par la voix de la chanteuse des Protomen cette inexplicable vibration à l’échine, dès qu’elle explore les fréquences primitives du nourrisson, dans son interprétation de Hold Back the Night. Ces lignes hautes et pointues titillent nos consciences intimes. Le cri des guitares électriques des Funkadelic ébranlent plus encore nos impressions intérieures dans l’étrange Maggot Brain, sous les doigts d'Eddie Hazel. Ennio Morricone exploite cette même sensibilité naturelle dans certaines de ses œuvres, via l’organe de Susanna Rigacci qui nous projette vers les noyaux de l’existence, dans Ecstasy of Gold

    Alors on comprend mieux cette passion des castras, les transes par les voix et les chants des sirènes, cette recherche du chant sacré, l’ivresse des concerts (hors effet de foule), etc.


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