• La nuit dernière a eu lieu, au centre de l'Italie, un tremblement de terre d'une magnitude de 6,2 sur l'échelle de Richter, vers 3h30 du matin entre Pérouse et Aquila. Plusieurs villages profondément endommagés, des victimes par dizaines écrasées dans leur sommeil, et à l'aube des images saisissantes complèteront concrètement la première information plutôt technique. Quelques heures plus tard nous apprendrons qu'un séisme vient également d'avoir lieu en Birmanie, d'une magnitude de 6,8, avec sans doute autant de dégâts. Les premières captures d'images par téléphone montrent l'énorme temple Dhammayangyi de Bagan fumant de poussière, pourtant à 30 km de l'épicentre localisé à Chauk par la United States Geological Survey.

    Italie, Birmanie, quel lien géologique ? Piqué par la curiosité je file sur le site Earth Quake 3D, live feed, qui donne en temps réel une représentation de tous les séismes enregistrés sur la planète. La page affiche la magnifique image de synthèse d'un globe transparent, représenté en fil de fer, et des épingles pointant les épicentres, étiquetées des magnitudes successives, l'ensemble est en rotation comme dans les meilleurs films de science fiction. Le globe est hérissé d'épines, j'élimine toutes celles inférieures à la magnitude 5 pour y voir plus clair. Une bonne dizaine encore pointent tout autour. Je cherche et trouve les vibrations italiennes, une longue aiguille pleine de répliques, 6.2 - 4.6 - 5.5 - 4.5, darde le lieu. Tout à l'est de l'Inde figure une autre aiguille pleine de valeurs plus importantes, elle pointe la Birmanie. J'essaie machinalement de me remémorer la carte des plaques et leur tectonique, un souvenir déjà lointain, quand je découvre une autre aiguille de grande taille chronologiquement proche des deux autres événements. Elle pique dans l'eau atlantique, au large de la pointe sud de l'Argentine et du continent Antarctique, presque sur le méridien de Greenwich. Cette brochette enfile une magnitude de 7,4 puis 6,4 dans l'indifférence des médias. De l'autre côté une autre, fichée aux abords est du Japon, affiche une magnitude plus modeste de 6, puis encore une au nord-ouest de l'Australie, dans l'eau.

    En bleu spectral apparaissent les jonctions entre les plaques, les aiguilles sont toutes plantées sur l'une des frontières qui délimitent les plaques. En quelques heures voici donc que des habitants d'Italie, du Japon, de Birmanie, un navigateur aux environs de l'Antarctique et de l'Argentine et un autre au large de l'Australie, s'ils avaient observé en direct ce site, auraient pu se sentir appartenir à la même communauté, à l'épreuve de mouvements de surface d'une même planète et liés les uns aux autres. Une tension qui se relâche ici engendre un mouvement là-bas. Le grincement de la poupe résonne à la proue, nous sommes sur le même vaisseau planétaire, sujets à son travail de structure, son activité chimico-physique. Coïncidence heureuse, quelques heures à peine avant ces frissonnements une équipe de chercheurs européens révèle par conférence de presse, via le magazine Nature, la découverte probable d'une planète offrant possiblement les mêmes conditions physico-chimiques que celles de la Terre. La petite boule nommée Proxima b graviterait autour de Proxima du Centaure, soleil un peu rouge situé à 4,2 années-lumières du nôtre.

     

    La prochaine fois que je regarderai en direction de Proxima du Centaure, je penserai à ses probables habitants comme à l'équipage d'un autre vaisseau croisant au large du mien. Peut-être tremblent-ils eux aussi, à la surface, sur des plaques en mouvement. 


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  • Champ contemporain

    Depuis quelques années s'intensifie une sorte de mouvement mortifère à l'encontre de la civilisation consumériste et libérale, dite démocratique. Car cette culture émancipatrice inspirée de Droits de l'Homme étendus à une liberté individuelle paroxystique, et que nous voyons évoluer vers une primauté du droit des minorités quelles qu'elles soient, et dont l'aboutissement semble conduire à l'expression publique du moindre caprice narcissique, couplée à l'égale satisfaction des ego-rois, heurte des forces anciennes que l'on pensait endormies et vaincues. Ces forces anciennes prirent, voilà trois siècles, aux abords du golfe arabo-persique, la forme d'une radicalité religieuse nommée improprement wahhabisme, affaiblie un temps puis revigorée par la chute de l'Empire ottoman et la découverte récente (au siècle dernier) d'immenses gisements d'or noir à l'endroit même de sa gestation. Cette vieille huile engendra une richesse extraordinaire, installant ce courant de l'islam dans le confort matériel et la capacité d'une grande influence politique partout sur la planète, aidé en cela par les habituelles disputes d'influences entre grandes puissances d'hier et d'aujourd'hui.

    Un islam, représenté par diverses nuances apparues au gré des tourbillons géopolitiques, est donc entré en conflit ouvert avec cette civilisation que certains associent entre autres à l'homo festivus, selon une intensité croissante, passant d'actes rares mais spectaculaires à une forme de harcèlement quasi hebdomadaire. La France vit depuis deux ans en état de vigilance avancée, les forces de l'autorité nationale sont sollicitées à leur capacité de mobilisation maximale, et chacun attend désormais le prochain attentat, le prochain évènement, la prochaine information dramatique comme on attend un coup du sort. Parallèlement, et depuis quelques années, l'islam est devenu un thème omniprésent dans la presse, les débats politiques et sociétaux, les conversations. Sa présence se manifeste d'une manière ou d'une autre un peu partout, jusque dans le quotidien des Européens. Les intellectuel(les) de synthèse nous annoncent que l'activité de son radicalisme est et restera sans doute l'un des grands sujets de ce siècle, comme le fut hier celui des régimes dictatoriaux. Une menace de plus à combattre, au nom de la Liberté, de la Démocratie, etc. À chaque époque ses tourments, diront les historiens.

    Ramifications transtemporelles

    Pourtant… Au hasard de la rediffusion d'une émission de France Culture, à travers le programme noctambule « Les nuits de France Culture », est parvenu à mes oreilles l'étrange biographie d'un explorateur hongrois du XIXème siècle. Armenius Vambery, d'abord apprenti tailleur, parvint au fil de ses pérégrinations à maîtriser plusieurs langues, dont la turque parfaitement, et à s'insérer dans la culture musulmane des Turcs en s'imprégnant de la doctrine des derviches, tout en gardant sa part européenne. Confident du sultan de Constantinople, russophobe, au service de sa Majesté la Reine (de l'Empire britannique de l'époque), il parcourut en toute confiance et jusqu'en Perse les territoires de l'histoire ottomane dont il retira une profonde connaissance, soigneusement rédigée dans divers ouvrages. Dans ces rapports, il était justement déjà question d'une profonde différence entre deux mentalités, celle des Européens et celle des musulmans, dont la rencontre ne semblait aboutir qu'à des conflits, voire quelques alliances temporaires et circonstanciées.

    Déjà se présentaient tous les ingrédients contemporains, exceptée la présence américaine : un Poutine conquérant, un Erdogan impérial, des Européens plus ou moins impliqués, une religion aux mœurs antiques et figées, une civilisation européenne avide d'émancipation humaine, des conflits existentiels. La force d'Armerius Vambery, comparativement aux observateurs actuels, tenait en sa capacité d'avoir su adopter comme siennes deux cultures, d'avoir pu passer de l'une à l'autre à son gré, comprendre les subtilités de chacune et en extraire les contradictions et les incompatibilités. À la lumière de ses analyses on comprend que le drame actuel ne date finalement pas d'hier et plonge ses origines loin dans l'histoire. Mieux, ses livres expliquent plus clairement que les analystes actuels la dynamique mentale qui pousse à la défiance d'un certain islam à l'égard des systèmes sociétaux européens (ou occidentaux). Lancé dans l'histoire on explore plus loin encore, dans les profondeurs du passé, aux prémices ottomanes, aux Rostémides, aux Abbassides, aux Omeyyades…

    Zarathoustra

    Alors on se réveille et l'on sort de la caverne, et l'on pointe du nez le soleil au zénith, où devant tourbillonnent l'aigle et le serpent, l'éternel retour de l'histoire ou, si l'on recrute les données récentes, l'extension temporelle de problématiques anciennes, et cette histoire qui s'éternise, en fin de compte, quand d'autres pensaient déjà l'enterrer sous le triomphe moïque et son pendant le transhumanisme.


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